Salvatore
BE
Il y a comme ça, parfois, des ensembles d’images que l’on ne sait par quel bout empoigner, que l’on peine à nommer, mais qui fascinent pourtant. Qui, à la certitude, accrochent et secouent sans que l’on sache au juste où elles vont, ce qu’elles racontent, ni même si c’est raconter qu’elles veulent, si c’est à s’expliquer qu’elles cherchent.
Instinct? Sûrement. Mais nourri, racé, lucide. Art brut? Trop vaste question, et propos trop étroit, trop précis. Pose esthétique?… Certes non. Si la manie du raté et du ratage a ses adeptes et ses théoriciens (un peu trop parfois), il n’y a ici nul calcul, nulle stratégie. Il y a trop de bordel dans ces images — mais un bordel éloquent, pour ainsi dire « ciblé » — et l’on sent trop peu l’enjeu de l’ego dans le chef de celui qui se cache derrière.
D’ailleurs qui est-il? Salvatore. Point. Que nous offre-t-il? Des méditations, ce qui est à la fois un petit peu vague et très généreux. Les nôtres, peut-être plus encore que les siennes. De l’aléatoire, alors? Bien loin de là: regardons mieux.
Car malgré le peu d’infos et l’absence de discours, ou de prétention à un discours, et à défaut d’identifier une trajectoire, on parvient malgré tout à rassembler des impressions et des miettes éparses.
Salvatore est photographe. Il vit à Bruxelles depuis sa naissance, il y près d’un demi-siècle. S’il dit préférer la discrétion, voire l’anonymat, il y a tout lieu de le croire (avant qu’il ne s’échappe ou ne s’éclipse). Amoureux des Arts, de l’image et de la philosophie, il photographie au feeling et de façon débridée, depuis des années et en noir et blanc, les choses et les gens qui lui tiennent à cœur.
S’il ne vit pas dans la rue, il vit près de la rue. Et c’est comme si le social et le visible — c’est assez bien jugé — ne formaient à ses yeux qu’une seule et même énigme. Le flou, la surexposition, la superposition, rendent parfois difficiles à tracer la limite entre la joie et la peine, l’essentiel et l’anecdotique (ce qui n’équivaut pas toujours au lourd et au léger), le vivant et l’inerte. Mais une énergie palpable et un questionnement permanent traduisent, à sa façon et dans une écriture non linéaire, un réel, un total engagement. Chose rare et précieuse!
Et rayonnant suffisamment pour que, sous l’impulsion de L’image sans nom, la BIP et son équipe ouvrent leurs portes, pour que la collection Première Lame (des éditions du Caïd) et son équipe conçoivent, avec l’aide d’Ophélie Blanck, une publication; pour qu’à défaut d’un nom, Salvatore se fasse un prénom, bien identifiable. Car il y a là, en lui et autour, à n’en pas douter, quelque chose à voir; et cela suffit, et cela seul compte.
Emmanuel d’Autreppe